Présentation

Médiations sur l'enseignement des lettres classiques, des langues anciennes, des langues et cultures de l'Antiquité ou des sciences de l'Antiquité. Appelez cela comme vous voulez.

Blog de Vincent Bruni, professeur de lettres classiques en collège, membre du GRIP, du collectif Arrête ton char et de l'ADLAP (Association pour la Diffusion des Langues Anciennes en Picardie), convaincu de l'intérêt pour tous les élèves de travailler l'Antiquité grecque et romaine dans toutes ses dimensions.

Rappels de circonstance:
1) Les propos tenus ici n'engagent que leur auteur et non les diverses associations auxquelles il adhère;

2) L'auteur n'est qu'un simple enseignant qui fait des propositions...

lundi 25 septembre 2017

Se passer de l’écriture en latin, un problème pédagogique?

Les explications proposées à cet état de fait sont diverses et parfois contradictoires : certains mettent en avant le faible nombre d’heures, d’autres le contenu des cours trop axé sur l’animation culturelle aux dépends d’un apprentissage structuré et progressif de la langue, d’autres encore le décrochage progressif de l’apprentissage de la grammaire scolaire en français, qui aurait un impact sur l’apprentissage de celle du latin.
Il est une piste qui n’a pas été explorée jusqu’ici à laquelle je voudrais réfléchir dans ce billet: la question de la pratique.

Cette notion de pratique est mise en avant dans les articles de Claude Fiévet qu’Olivier Rimbault met à disposition sur son site. Pour ceux qui sont intéressés, c'est ICI (lien cliquable)
Pour mémoire, Claude Fiévet est un professeur de littérature latine qui, nommé à l'Université de Pau, s'est vu attribuer le groupe des latinistes débutants avec pour mission de les amener à la fin de leurs deux années de DEUG (nous sommes bien avant la réforme LMD) au niveau du groupe des "confirmés" i.e. les élèves qui avaient pratiqué le latin depuis le collège et au cours du lycée. 
Claude Fiévet s'est donc retrouvé confronté à la problématique suivante: rendre possible la compréhension d'un texte littéraire en langue latine par ses étudiants après deux ans d'apprentissage seulement.

Il expose l'origine de ses choix didactiques et pédagogiques ainsi que ses considérations sur l'état de l'enseignement du latin dans un texte à la fois précieux et terrifiant que le site d'Olivarius Rimbault nous met à disposition:



Texte précieux, car les textes théoriques sur la didactique des langues anciennes en langue française ne sont pas légion. On peut citer les deux numéros des Cahiers Pédagogiques (avril 1997 et novembre 2013), le livre de Mireille Ko, Enseigner les langues anciennes (2000) et celui d’Anne Armand, Didactique des langues anciennes (1997). Le texte est aussi effrayant, car il date de 1985, et on peut se dire que les débats n’ont pas trop évolué depuis. Comme Fiévet le dit lui-même, "on adresse au latin - qui, en soi, n'est pas un système linguistique plus complexe qu'un autre - des griefs qui seraient mieux adressés aux méthodes employées pour l'enseigner.".

Le coeur du propos de Claude Fiévet est le suivant: on a fait du latin un prétexte à autre chose, que ce soit pour certains la "rigueur intellectuelle" ou pour d'autres "la culture générale" voire plus récemment "la compétence en lecture" et on a perdu de vue la finalité de l'étude du latin: la lecture aisée des textes littéraires de l'Antiquité grecque et latine.

Les tenants de la rigueur intellectuelle sont dans l'erreur, car ce qu'ils défendent peut s'acquérir par d'autres voies, moins artificielles.
Ceux de la culture générale oublient que leur perspective humaniste n'implique pas la connaissance de la langue.
Quant aux derniers, ils créent par leur démarche pédagogique une illusion de compétence qui ne tient pas lorsque l'étudiant se retrouve réellement face à un texte en langue latine.

L'objectif de l'apprentissage du latin doit être la compréhension naturelle des textes. Pour ce faire - et on peut, sur ce point, se demander si la philosophie pédagogique de Claude Fiévet n'a pas eu quelque effet - il propose de substituer à la pédagogie dite traditionnelle de "l'analyse-traduction" une "pédagogie de la compréhension".
 
La base de sa réflexion pédagogique ont été "les progrès accomplis dans la didactique des langues vivantes". Ce que Fiévet reproche finalement à ce qu'il appelle les "méthodes traditionnelles", c'est qu'elle induit paradoxalement une absence de pratique: "La traduction, d'un autre côté, détourne de la langue-cible une part importante de l'effort pour résoudre des problèmes dans la langue d'arrivée"; "en atomisant systématiquement la phrase en micro-segments, elle est fondamentalement contraire au fonctionnement associatif et synthétique de la pensée".
Mais Fiévet se méfie aussi des méthodes directes (ce qu'il appelle les "méthodes audio-orales" et les "méthodes audio-visuelles") car elles "s'essoufflent au delà d'un certain seuil" et "révèlent leur insuffisance dès lors qu'il s'agit de passer au texte littéraire": "Or, en latin, la finalité n'est pas d'apprendre à parler sur des sujets de la vie quotidienne, mais bien d'apprendre à lire la langue souvent très élaborée des textes littéraires."

Fiévet propose donc une solution médiane, en retenant de chaque méthode ce qui permet la compréhension rapide des textes littéraires. Et cela passe, pour ce qui est des méthodes directes, par la pratique du latin oralisé, pour faire apparaître constamment le lexique (sur lequel Fiévet insiste beaucoup) et les structures grammaticales élémentaires:
"La résurgence permanente du lexique et des structures syntaxiques, avec une fréquence élevée, entraîne nécessairement une familiarisation avec la langue et une intériorisation de ses mécanismes que ne saurait  permettre une démarche analytique. Elle fait acquérir et réactive constamment un véritable savoir-faire dans le minimum de temps".

Les perspectives offertes par Claude Fiévet sont intéressantes, stimulantes, et on sait (certains anciens étudiants, membres ou non de l'association ATC, peuvent en témoigner) leur efficacité.

Si ces choix pédagogiques n'ont pas été diffusés, cela tient selon moi à plusieurs facteurs:
Le premier facteur est le fait que, comme les professeurs de langues anciennes eux-mêmes n'ont pas été formé de cette manière, ils ne ils ne se sentent ni légitimes  ni armés pour pouvoir appliquer ces principes.
Le second facteur est celui de la justification de l'existence des langues anciennes dans l'enseignement secondaire par la valeur culturelle des textes. Ce refuge derrière le texte authentique pour légitimer de l’étude des langues anciennes a paradoxalement abouti à un abandon de la pratique de la langue. Car l'etude de la langue à partir des textes littéraires n’est pas un processus naturel, mais un processus de savant déjà expert dans la langue en question. Une simple lecture des textes n'induit une pratique de la langue mais plutôt une compréhension de celle-ci.

Lorsque cette option pédagogique - je veux dire celle de la compréhension de lecture - s'est imposée, a été théorisé dans le même temps l'abandon du thème, notamment par Anne Armand, qui, dans son ouvrage Didactique des langues anciennes, s'emploie à démonter l'intérêt des exercices traditionnels du cours de langue ancienne à savoir le thème et la version. Elle explique notamment que « seuls les spécialistes ont un jour à écrire un texte latin correct.  Pour la grande majorité des latinistes et hellénistes, il n'y a qu'une opération, celle du décodage, de la lecture, et pas d'opération d'encodage de fabrication de message.» (p. 25) Anne Armand fait certainement référence au thème d'agrégation, exercice qu'on peut juger effectivement artificiel, mais qui permet tout de même de jauger les connaissances grammaticales, lexicales et syntaxiques des candidats et leur réactivité face à une difficulté.  La logique de  cette argumentation contre le thème est de dire «à quoi bon former toute une cordée de latinistes et hellénistes à un exercice qui ne concernera qu'une petite minorité d'entre eux lors d'un éventuel passage de concours d'enseignement?».
Or, tout comme la question du texte authentique a abouti à l'interdit toute utilisation du texte reconstruit ou inventé, faisant fi de son intérêt dans la progression de l'apprentissage,  la question de l'abandon du thème a entraîné une sorte de tabou qui a rendu l'écriture en langues anciennes très minoritaire dans le cours de latin et de grec.

Mais revenons à Claude Fiévet. Comme nous l'avons dit, Claude Fiévet déplore dans la pédagogie traditionnelle l'absence de pratique de la langue et c'est pour cela qu'il a construit peu à peu sa méthode audio-orale.

Une autre manière de pratiquer le latin afin de consolider les apprentissages faits en lecture de texte ne serait-elle pas d'écrire en latin? Revenir non pas au thème grammatical mais à une écriture d'invention, une écriture inventive, presque joyeuse, en langue ancienne ne pourrait-il pas permettre de marcher sur deux jambes dans l'apprentissage de la langue: la lecture et l'écriture? Or, la perspective que les élèves écrivent en latin est totalement absente des programmes actuels.
De plus, les professeurs se sentirait plus à l'aise dans une pratique d'écrit qui est proche de leur formation initiale, alors qu'ils semblent beaucoup plus réticents à se lancer dans une pratique orale. Et elle serait tout aussi simple à mettre en place de manière régulière, car ce qui fait la force de la méthode audio-orale, comme le dit Claude Fiévet lui-même, c'est la fréquence de la pratique.

Allons plus loin: pourquoi les professeurs de lettres classiques, qui sont donc des professeurs de lettres, ont-ils des scrupules à utiliser en cours de latin les techniques didactiques dont ils sont familiers dans leur enseignement du français: écriture de récit, journal de classe blog...?

Une discussion avec mes collègues de lettres classiques au sein du groupe Facebook Arrête Ton Char m'a permis de lister rapidement les pratiques des collègues en terme d'écriture en latin. En voici une liste indicative et incomplète:

* tenue d'un blog en latin,
* contributions au wikipedia en latin,
* écriture d'une chronique latine sur un personnage fictif,
* journal de bord,
* écriture du cours directement en latin,
* thème d'imitation (Pline, Apicius, Plaute...),
* bande dessinée...

Ecrire régulièrement en latin pourrait permettre de réinvestir certaines connaissances vues en cours et les solidifier par une pratique de la langue qui, si elle reste exigeante du point de vue des normes linguistiques, serait plus détendue, presque récréative et riche pour l'apprentissage. 

samedi 11 février 2017

Réponse à un commentaire...

Souvent, lorsqu'on poste un commentaire sur un blog, une mauvaise manipulation peut faire disparaître un texte patiemment écrit. De même, il est parfois impossible de l'éditer, tant pour retirer les erreurs d'orthographe et de syntaxe qui traînent que pour reformuler une idée ou y ajouter des précisions.
C'est ce qui est arrivé à ce post, que je restitue ici, mais dont je suis moins content que l'original, qui a disparu. Vous trouverez d'abord le lien vers le blog qui a suscité la réponse puis une reprise de la réponse que j'y ai faite, largement modifiée et polie par les relectures:

http://enseignement-latin.hypotheses.org/9654#comments


"Je répondrai à votre commentaire en plusieurs points:
Tout d'abord, concernant la question du conflit modernes/classiques, elle est évoquée dans l'ouvrage de Clémence Cardon-Quint Des lettres au français, publié par les PUR. En s'appuyant sur les archives d'associations pédagogiques et disciplinaires, ainsi que sur des archives ministérielles, l'auteure montre que pour une part non négligeable, l'identité professionnelle du corps des professeurs de lettres modernes s'est constituée contre la présence du latin dans l'enseignement, tant secondaire que supérieur. C'est un point annexe de son propos (pour faire vite, le livre - très intéressant dans son ensemble - porte sur la question de la mise en œuvre de la démocratisation de l'enseignement du français),  mais il est intéressant de noter que les arguments mis en avant à  cette époque pour démontrer l'inutilité et la nocivité du latin et finalement son incompatibilité essentielle avec la démocratisation sont peu ou prou ceux que vous développez. Je pense que ces arguments sont faux, qu'ils sont construits sur des préjugés, compréhensibles dans le contexte historique et culturel de l'époque, mais qui ne résistent pas à l'analyse. Malheureusement, nous sommes les héritiers de cette situation née dans les années 1950 à 1970.
Ces arguments reposent aussi sur des erreurs d'ordre épistémologique, scientifique et culturel, que je vais essayer de réfuter plus bas. D'un certain côté, on peut considérer que nous vivons les derniers feux de ce débat avec la réforme du collège, qui décapite l'enseignement des langues anciennes là où il était fort (hors français, c'était la troisième langue étudiée au collège en France), prélude à une nouvelle réduction réussie (après celle du supérieur et du lycée), soit l'inverse d'une démocratisation. Le premier préjugé, le plus néfaste pour ces disciplines est celui qui est au cœur de tous les arguments contre les langues anciennes, est celui-là:
leur disparition de l'enseignement obligatoire est une des conditions à la réussite de la démocratisation scolaire (voir par exemple, dans le livre de Clémence Cardon-Quint, la retranscription de la motion d'orientation du congrès du SGEN-CFDT de 1964).

Nous allons maintenant réfléchir aux trois erreurs que j'ai évoquées plus haut.

L'erreur épistémologique
D'un point de vue épistémologique, tout tourne autour de la question suivante: peut-on réellement appréhender la profondeur d'un texte lorsqu'il est en traduction?
Notons que cette question met en jeu la conception que nous avons de la compréhension des textes en latin et grec, mais aussi du travail sur les textes dans d'autres disciplines, les langues vivantes notamment.
Plutôt que de dire qu'"une bonne traduction suffit", pourquoi ne pas se donner pour objectif que l'élève puisse comprendre un texte littéraire "dans son jus", un peu à la manière des films sous-titrés, qui permettent tout de même un apprentissage linguistique? Cela sous-entend de créer un appareillage pour ceux-ci, qui devra être allégé au fur et à mesure des progrès des élèves. Cela sous-entend que ce type de travail soit fait régulièrement, en cours de français pour le latin, mais aussi dans les cours de langues vivantes, notamment l'anglais, pour que l'élève soit familiarisé avec ce procédé. Cela sous-entend enfin que des textes littéraires (notez que je n'écris pas "classiques"), adaptés au niveau des élèves (comme le proposent les programmes de français) soient aussi proposés en cours de langue vivante, ce qui n'exclut pas les méthodes actuellement en vigueur dans ces disciplines.
Bref, la mise en avant de la traduction comme seul moyen de connaissance des textes en langue étrangère repose sur le présupposé qu'on ne peut faire autrement, ou qu'il est "inutile" pour les élèves d'en savoir plus, ou qu'il est trop difficile pour les élèves de procéder différemment. Elle fait fi de l'intérêt culturel et cognitif de procéder par un vis-à-vis ou un aller-retour entre le texte en langue originale et une traduction ou un appareillage.

L'erreur scientifique
D'un point de vue scientifique, considérer, comme vous semblez le faire ou comme Paul Veyne l'a fait (et cela a été abondamment repris par ceux qui ne veulent nulle part des langues anciennes), que former une quarantaine de scientifiques chargés de diffuser les traductions "qui sont bien suffisantes" méconnaît un certain nombre de données factuelles: le latin ne s'est pas arrêté à la mort de Tacite.
M. Stéphane Feye rappelle cette donnée dans sa réponse plus bas, les savants allemands ont beaucoup travaillé sur ces questions (lire par exemple Le latin est mort, vive le latin de Wilfried Ströh). Si je reprends les chiffres de M. Feye (85% des volumes possédés par les bibliothèques universitaires sont rédigés en latin), chiffres comparables à ceux donnés par Wilfried Ströh dans le livre évoqué plus haut ou par Jürgen Leonhardt dans La grande histoire du latin, des origines à nos jours, nous voyons que le latin dépasse de très loin, en quantité et en temps, les bornes dans lesquelles on l'a comprimé dans les programmes scolaires.


"Ce que la mémoire collective a pris l'habitude d'appeler "la" littérature latine, cet héritage transmis de siècle en siècle par l'école - les œuvres de cette lignée d'écrivains qui va de Plaute à Tacite en passant par Cicéron - ne représente finalement, malgré tout son éclat, qu'un minuscule point dans le ciel étoilé du latin". (La Grande histoire du latin, p.6)


La proposition de M. Veyne laisse donc de côté plus de 99% de ce qui a été écrit en latin, fait fi de la présence de nombreux textes inédits, encore à traduire et à découvrir, selon l'objectif éminemment humaniste de mieux nous comprendre. La réduction du latin à la période romaine est une erreur scientifique et aussi l'une des explications à la situation actuelle de l'enseignement des langues anciennes, aussi parce que leurs défenseurs se sont retranché derrière l'argument des "grands textes" (argument à la fois fécond et réducteur) pour justifier leur existence face à la violence des attaques qu'elles subissent depuis 50 ans, fournissant par là même l'argument du "moderne" à ceux qui pensent que la démocratisation de l'école passe par la disparition du latin et du grec dans l'enseignement obligatoire.
Le changement a commencé, avec des programmes qui demandent de laisser une place au "latin après le latin" (expression tirée des programmes de 2009), ou des projets tels que celui de l'université de Bretagne Occidentale: http://www.univ-brest.fr/libros/menu/Présentation

On peut noter que, outre les associations disciplinaires de professeurs de lettres classiques, ce sont les historiens et les archéologues qui appréhendent le mieux les dégâts causés par cette vision du latin et du grec que vous diffusez.
Pour le dire clairement et pour aller contre une autre idée reçue, nous avons un besoin urgent et éminent de former des latinistes en grand nombre pour accomplir le travail de recherche, d'analyse et d'édition de tous ces inédits qui dorment dans nos bibliothèques. Et donc, nous avons besoin d'un enseignement du latin régulier, donné à une base élargie d'élèves pour avoir un recrutement suffisant plus tard.

La question culturelle:
C'est sur la question culturelle qu'on trouve la littérature la plus abondante. Je me bornerai à rappeler que nous sommes les héritiers du latin, que ce n'est pas sale, et que cet héritage peut être l'objet d'un enseignement offert à tous les élèves.
Si la perspective ancienne d'étude du latin et du grec, une perspective d'abord et avant tout littéraire, est féconde, elle doit être accompagnée par d'autres angles de lecture des textes. Cette évolution, pourtant en cours depuis les années 1980, sous l'impulsion notamment des ARELA (lire à ce sujet le billet de Philippe Cibois: http://enseignement-latin.hypotheses.org/7606), n'est pas portée au crédit des professeurs chargés de ces disciplines par qui ne veut pas réfléchir sur le fond à la question des langues anciennes dans l'enseignement. Ces derniers en sont restés à la perspective ancienne - so sixties - de l'étude des textes, et s'en servent comme repoussoir dans leur argumentation, en allant parfois (mais l'objet de ce billet n'est pas d'analyser cet argument contre le latin, pourtant très présent dans les débats actuels) jusqu'à l'accusation de racisme larvé.
Des perspectives autres que la perspective littéraire - complémentaires, cela va sans dire - peuvent être prises, comme l'ont fait par exemple Florence Dupont dans son livre d'entretien L'Antiquité, territoire des écarts, ou encore le collectif de jeunes chercheurs qui anime le blog http://antiquipop.hypotheses.org/.
Il s'agirait d'étudier les textes anciens pour comprendre ce que nous en avons fait, pour les comprendre et comprendre comment nous les avons reçus à diverses époques. Il s'agirait aussi de comprendre comment ils ont influencé des décisions et une époque. Bref, il s'agit d'une perspective historico-culturelle, que l'on peut voir à l’œuvre dans un certain nombre de sorties éditoriales récentes.
J'en retiendrais trois:
1) L'ombre d'Hannibal (Annibale un viaggio), de Paolo Rumiz, qui suit les traces, les indices du passage d'Hannibal dans l'Italie d'aujourd'hui et s'interroge sur la compréhension et l'utilisation de cette figure historique.
2) Le Roi Arthur, un mythe contemporain, de William Blanc, qui est un modèle de travail sur une figure culturelle et de son évolution au fur et à mesure des époques (et pourquoi ne pas travailler sur l'Historia regum Brittaniae avec les élèves?).
3) Alexandre. Exégèse des lieux communs, de Pierre Briant, qui entreprend un travail d'étude des interprétations de la figure d'Alexandre le Grand dans diverses aires culturelles et à différentes époques.

Cet angle de travail n'exclut en rien la pratique linguistique, puisqu'il s'agit pour l'élève de pouvoir lire et comprendre ces textes. Elle interroge (et remet en lumière) la question des "grands" textes, en poussant l'élève à se demander pourquoi ces textes précis ont été jugés importants à transmettre, pourquoi, alors que les chercheurs allemands estiment que le total des textes de la littérature romaine est au moins dix mille fois supérieur à ce qui est actuellement en notre possession (Chiffres de Jürgen Leonhardt, op. cit.), ce sont ces textes-ci qui nous sont parvenus.

Et cela mérite d'être offert à tous, pas à une quarantaine de spécialistes triés sur le volet. C'est cela qu'on appelle "démocratisation".

Conclusion
Ces constats devraient donc amener à un changement total de perspective de la part des instances dirigeantes; ces constats demandent de revenir sur la distinction classiques/modernes en actant l'inanité scientifique et épistémologique de penser qu'il est inutile - voire nocif - pour un professeur de lettres de connaître le latin et le grec; ils commandent aussi de revoir la perspective de l'enseignement des langues anciennes, qui doit élargir sa chronologie et, en étudiant les textes du passé, doit avoir toujours en point de mire l'homme d'aujourd'hui et l'homme de demain; ils demandent enfin d'intégrer les langues anciennes à l'enseignement général, de la manière la plus réaliste possible dans la situation actuelle, largement imputable aux erreurs de jugement et aux idées reçues qui ont cours depuis 50 ans.